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PESTICIDES
08.11.2019

Sortir des pesticides est bien un choix de société

Le journal Le Monde a publié une tribune de la Conf sur les pesticides
Agribashing : « Sortir des pesticides est bien un choix de société »

Tribune - Le Monde - 8 novembre 2019

 

 

L'acceptation du recours aux pesticides de synthèse en agriculture s'érode inexorablement dans notre société. L'accumulation de données accablantes concernant leur impact sur la santé des humains et des écosystèmes, ainsi que la mise au jour des coûts vertigineux, pour la collectivité, de la gestion de leurs dégâts (dépollution, indemnisation des malades…), suscite une réprobation croissante et l'inquiétude grandit parmi les riverains des parcelles traitées.

C'est dans ce contexte que le gouvernement entend susciter l'élaboration de « chartes de coexistence » entre paysans et riverains partout sur le territoire, dans le but prétendu de limiter l'exposition de ces derniers aux effets cancérogènes, mutagènes ou perturbateurs endocriniens de nombre des pesticides autorisés à la vente… par l'Etat lui-même. L'approche du gouvernement pouvait difficilement être plus malhonnête.

D'une part, en proposant la mise en place de zones de non-traitement (ZNT) de 3, 5 ou 10 mètres, selon la nature des pesticides et des cultures concernés, le gouvernement trompe le public : ces distances sont déjà en vigueur, intégrées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) dans une partie des autorisations de mise sur le marché, valables pour chaque pesticide qu'elle délivre. D'autre part, qui peut croire que 3, 5, 10, 150 mètres peuvent protéger les riverains alors que les pesticides se dispersent sur des kilomètres, que ceux-ci interagissent par effet cocktail selon des mécanismes largement imprévisibles ?

En fait de « protection des riverains vis-à-vis des pesticides », il s'agit bien plus ici de protéger les pesticides des conséquences, à terme, de l'inquiétude croissante des riverains… Le lobby des pesticides et ses relais dans le monde agricole l'ont d'ailleurs bien compris et soutiennent l'élaboration de telles « chartes ». Celles-ci sont une aubaine : elles signent le renoncement de l'Etat à légiférer pour prendre en compte les conséquences délétères, sur la santé, l'environnement et le vivre-ensemble dans les campagnes, de ses propres décisions. Rappelons que c'est bien l'Etat qui reconduit constamment l'autorisation des pesticides.

Avec ces chartes, il s'agit d'étendre le domaine d'application de la notion trouble de « bonnes pratiques dans l'usage des pesticides ». Celles-ci sont l'ensemble des préconisations adressées aux paysans dans l'intention prétendue qu'ils préservent leur santé dans le cadre de l'usage de pesticides (porter un masque, des gants etc.). En réalité, cette notion est un vaste parapluie, conçu pour faire porter aux seuls paysans la responsabilité de la survenue éventuelle d'une intoxication ou d'une maladie chronique, en dédouanant l'Etat et les fabricants de pesticides de leurs responsabilités pourtant massives.

Stratégies de survie

C'est certes nous, paysans, qui actionnons les pulvérisateurs. Mais on ne peut pas comprendre l'envahissement de l'agriculture par les pesticides sans considérer l'évolution du contexte économique dans lequel nous exerçons notre métier. La généralisation de la logique de compétition a imposé des stratégies de survie dans le monde paysan. Les pesticides font partie de ces stratégies. S'il existe de nombreux exemples de paysannes et de paysans qui pratiquent une agriculture sans pesticides, c'est parce qu'ils ont été accompagnés dans leur choix par une meilleure rémunération de leur production. Sortir des pesticides est donc bien un choix de société. Des politiques publiques doivent orienter les choix de production, mais aussi les choix alimentaires de l'ensemble de la population vers les modes de production qui préservent la santé des humains et de l'environnement. Ce n'est pas au système agro-industriel d'imposer notre agriculture et notre alimentation.

Il convient de dénoncer l'hypocrisie du gouvernement, qui semble bien plus soucieux de préserver les pesticides face au rejet des populations, que l'inverse… Incapable de penser au-delà de l'idéologie de la compétition, le gouvernement est incapable de penser la sortie des pesticides : il s'en remet à des concertations décentralisées entre acteurs locaux mis face à face (chambres d'agriculture, associations environnementalistes…) qui mettent sous tension nos territoires plus qu'elles ne les apaisent. Non content d'abandonner les paysans à la jungle du marché avec pour tout kit de survie économique une batterie de poisons, l'Etat s'en remet à d'autres pour gérer les conflits qui découlent de ses choix et fracturent nos territoires ruraux.

Pour la Confédération paysanne, on ne protégera les riverains qu'en protégeant aussi les paysans, donc en généralisant les alternatives aux pesticides sur tout le territoire. Des soutiens massifs aux paysans et des mesures vis-à-vis des importations doivent faire que cette sortie des pesticides entraîne le renouvellement de l'agriculture dans l'intérêt de tous, paysans compris.

Nicolas Girod est producteur de lait à Comté dans le Jura et porte-parole de la Confédération paysanne

 

 

 

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